Cette histoire ne commence pas sur une page blanche. Elle commence sur une table. Une table de bistrot, un soir d’automne 2010, au cœur de Paris. À cette époque, j’écrivais déjà depuis presque une année sur ce qui allait devenir, bien plus tard, Les Chroniques d’Haranis. Le projet ne portait pas encore ce nom, mais il hantait déjà mes pensées. Ce jour-là, j’étais avec une amie de longue date. Nous venions de pénétrer dans un bistrot que j’affectionne tout particulièrement, dans le quatrième arrondissement — un lieu qui, heureusement, est toujours là. En nous installant, elle attira mon regard vers un simple crayon, oublié sur la table. Sans doute celui d’un serveur, abandonné là par mégarde. Pourtant, parfois, il suffit d’un détail insignifiant pour déclencher une étincelle. Je me souviens lui avoir murmuré : « Ce genre de chose, c’est souvent le début d’une histoire. »
Comme souvent entre nous, nous avons décidé de jouer le jeu. Le temps d’un apéritif, nous avons tissé autour de ce crayon une histoire — une vie secrète, une magie invisible, un destin qui s’écrit à l’insu de tous. Quand le serveur est revenu avec le café, notre récit était presque complet. Avant de nous quitter, je lui ai fait une promesse : « Je l’écrirai, cette histoire. » Mais le temps, ce voleur insaisissable, a filé, emportant ce projet avec tant d’autres rêves. Haranis grandissait en silence, s’étendant bien au-delà de ce que j’avais imaginé. Ce qui devait n’être qu’une simple trilogie est devenu un univers vaste, exigeant, presque dévorant. Le crayon, lui, s’est retrouvé relégué dans un tiroir de ma mémoire. Il ne restait que le souvenir d’un instant partagé, et quelques notes griffonnées dans une chambre d’hôtel. Les années ont passé. Parfois, entre deux appels transatlantiques, mon amie vivant au Canada, l’histoire revenait dans nos échanges, comme une invitation lancée au loin. Puis, en septembre 2015, lors d’un rendez-vous à Montréal, elle m’a tendu un carnet, juste avant de se dire au revoir. Pour écrire, quand tu en auras le temps, m’a-t-elle dit. Je lui ai répondu, avec un sourire : « J’y écrirai Le Crayon. » Le 9 décembre de cette même année, j’ai noircis les premières pages. L’histoire reprenait vie, là où tout avait commencé — dans le quatrième arrondissement. Mais, comme toujours, Haranis reprenait toute la place.
Puis, en 2024, alors que je peaufinai le calendrier de sortie du premier volume des Chroniques, prévu pour le 6 décembre 2026, un désir profond est revenu : celui de replonger dans ces récits laissés en suspens. Ces histoires qui attendaient patiemment leur moment, qui méritaient d’être racontées. J’ai ressorti mes notes, feuilleté le passé. Après La Porte, Le Crayon s’est imposé comme le choix évident, presque naturel. J’ai repris le fil, doucement, sans précipitation. J’ai affiné le ton, réajusté l’intrigue, toujours avec le respect de cette étincelle première, sans jamais trahir l’idée originelle. Et c’est ainsi que cette nouvelle paraîtra elle aussi, un an avant le premier tome, le 6 décembre 2025. Pourtant, ce texte n’est pas fini. Pas encore. Un jour, je sais que je coucherai une version plus intime, plus proche de cette fin d’après-midi parisienne. Celle que je déposerai dans le carnet qu’elle m’a offert, comme un secret à partager. Plus fidèle à ce moment suspendu, à cette complicité silencieuse.
Et quand ce jour viendra, je lui remettrai ce manuscrit.
En souvenir d’une table de bistrot, d’un crayon oublié… et d’une histoire née d’une simple remarque, devenue promesse.